Le stress au travail : une tendance passagère ?

Au cours des dix dernières années, la proportion de personnes stressées au travail est passée de 18 % à 23 % – une tendance alarmante qui fait du stress le risque pour la santé le plus en augmentation sur le lieu de travail. Plus de la moitié des personnes concernées se sentent également épuisées émotionnellement, ce qui augmente considérablement le risque de burn-out.

Entretien avec le professeur Norbert K. Semmer

Dans une interview avec le professeur Norbert K. Semmer, nous souhaitons examiner ce sujet plus en détail et mettre l'accent sur les développements de ces dernières années.

Le professeur Norbert K. Semmer est un chercheur renommé dans le domaine de la psychologie du travail et des organisations. Il étudie depuis de nombreuses années le thème du stress au travail. Dans cette interview, il nous donne un aperçu de la manière dont le sujet a évolué au fil des ans et de ce que les entreprises, les cadres et les collaborateur∙rices peuvent faire concrètement pour le réduire.

La perception du stress évolue. Autrefois, le stress n'était pas seulement évalué différemment, il était également désigné différemment. Auparavant, on avait mal au dos lorsqu'on était épuisé, même si l'on était stressé au travail. Être déprimé était moins légitime.

Professeur Norbert K. Semmer

Professeur Semmer, vous travaillez depuis 50 ans sur le thème du stress au travail. A-t-il selon vous augmenté au fil des ans ?

Cela dépend toujours beaucoup de ce que l'on prend en compte. On a de plus en plus l'impression que les employé∙es doivent faire toujours plus en moins de temps. C'est lié au fait que les entreprises veulent produire le plus possible avec le moins de personnel possible.

Dans l'ensemble, nous remarquons de la constance au fil des ans, avec une tendance à l'augmentation. Pendant la pandémie de Covid, nous avons constaté une légère baisse du stress au travail - mais pas partout, pas dans le secteur de la santé, par exemple. Il y a donc des professions où le stress au travail augmente, et d'autres où il augmente moins. A cela s'ajoutent bien sûr différents facteurs, en l'occurrence, surtout des aspects liés au Covid. Dans cette période, les problèmes de sommeil ont augmenté lorsque le stress au travail s'est accru, mais cela d'autant plus s'il y a eu des difficultés à faire garder les enfants. Mais en général, le sentiment que la pression augmente est très répandu.

Est-ce lié aussi à l'avancée de la numérisation ?

Il y a toujours eu de nouvelles technologies. La numérisation implique l'idée de faire plus en moins de temps. De mon expérience, les entreprises optimisent la technologie, mais pas les conditions de travail qui l'entourent. Par exemple, elles font faire par une machine ce que les hommes faisaient auparavant. Mais les gens doivent alors faire fonctionner la machine et se tenir à côté. On ne pense pas en termes d'organisation du travail - ou alors beaucoup trop peu. Car les gens veulent de l'autonomie et des activités variées. Il faut garder cela à l'esprit lors de l'introduction de toute nouvelle technologie.

Que peuvent faire les collaborateurs eux-mêmes pour éviter le stress ?

Découvrez des conseils concrets dans notre vidéo. (Vidéo en allemand.)

Quel est le changement apporté par l'utilisation de l'IA ?

D'après mon expérience, au lieu de faire en sorte que l'on puisse mieux travailler avec les nouveaux outils, l'idée qui prévaut dans les entreprises est plutôt de remplacer l'homme. La question est toujours : « Que fait l'IA avec nous ? » Mais il faudrait plutôt demander : « Que faisons-nous avec l'IA ? » Concevoir le travail avec l'IA, il existe plusieurs options en la matière. Les supérieurs hiérarchiques devraient les garder à l'esprit, et se poser la question de savoir ce que nous créons maintenant comme postes de travail, et vers quoi ils seront orientés.

Les collaborateur∙rices ne devraient-ils pas être plus actifs dans le domaine de l'IA ?

Le développement est en effet si rapide qu'il existe un risque que des personnes soient laissées de côté. Je pense que les contrats de travail de demain devraient inclure des formations continues comme élément obligatoire. Car aujourd'hui, on investit beaucoup, en particulier dans la formation continue pour les collaborateur∙rices qui sont plutôt haut placés dans la hiérarchie, mais moins pour ceux et celles des niveaux hiérarchiques inférieurs. Cela doit changer. La formation continue est très importante pour tous.

Comment pouvons-nous inciter les entreprises à mettre en œuvre ces projets ?

Nous devons simplement insister encore et encore sur l'importance de ce point.

Qu'en est-il des absences pour raisons de santé dues au stress au travail ? Comment gérons-nous cela ?

De tels arrêts dépendent de nombreuses causes : les conditions de travail, les conditions privées, la personne. Nous avons tendance à trop mettre l'accent sur le rôle de la personne, par exemple en ce qui concerne les modes de vie malsains, et à sous-estimer le rôle des circonstances, par exemple le stress intrafamilial mais aussi, justement, le stress sur le lieu de travail.

Cela vaut bien sûr aussi pour les cadres, et il n'est souvent pas facile pour eux de se demander si les conditions de travail ont contribué aux problèmes. De plus, ils sont eux-mêmes sous pression.

La perception du stress évolue-t-elle au fil des années ?

Oui, elle évolue. Autrefois, le stress était non seulement évalué différemment, mais aussi nommé différemment. Avant, on avait mal au dos quand on était épuisé, même si on était stressé au travail. Être dépressif était moins légitime. La discussion sur le burnout a beaucoup aidé à ce sujet. Et le burnout touche justement les personnes très engagées, c'est-à-dire celles qui font preuve d'un surinvestissement et qui ne tiennent pas compte des premiers symptômes d'épuisement. Le terme burnout a fait du bien à cet égard. Il crée une légitimité pour ce phénomène comme la dépression, c'est-à-dire « je suis épuisé∙e parce que j'ai trop investi pour quelque chose ».

Dans le contexte du stress au travail, vous parlez du modèle SOS - Stress as Offence to Self. Qu'est-ce que cela signifie exactement ?

Le modèle SOS part du principe qu'une menace pour l'estime de soi est une source importante de stress. Personne ne veut être perçu comme stupide, paresseux ou incapable, que ce soit par lui-même ou par les autres. Nous avons un besoin fondamental d'être vus de manière positive. C'est pourquoi nous sommes particulièrement sensibles aux situations critiques. Derrière de nombreux phénomènes de stress se cache plus qu'un simple surmenage physique. L'effort peut être très positif, mais nous voulons aussi que nos efforts soient appréciés à leur juste valeur. Si ce n'est pas le cas, si nous avons l'impression d'être traités avec mépris, cela nous pèse. Cela nous occupe, nuit au plaisir de travailler et fait que le travail est beaucoup moins facile à faire, que nous devons nous ressaisir. Cela demande également de l'énergie - et de l'énergie inutile - ce qui ne fait qu'augmenter les exigences élevées.

Les conditions de travail doivent donc être adaptées à nos capacités et à nos besoins - tout comme, inversement, nos capacités doivent être adaptées aux exigences du travail (voir ci-dessus : formation continue !). Parmi les besoins, on trouve par exemple une marge de manœuvre dans nos actions et des activités intéressantes, mais aussi la reconnaissance, le respect et l'estime. Cela tient parfois à pas grand-chose - une petite remarque suffit pour signaler la reconnaissance ou la dévalorisation. C'est pourquoi il est important pour les cadres de créer des conditions de travail qui transmettent de l'estime, de communiquer de manière valorisante et de gérer consciemment les critiques.

Que peuvent faire concrètement les cadres pour réduire le stress de leurs employé∙es et renforcer leur estime de soi ?

Les cadres peuvent faire beaucoup en veillant à ce que le travail soit organisé de manière motivante. Dans la communication quotidienne, il est souvent important de se concentrer sur les petits gestes importants. Souvent, il ne s'agit même pas de grandes mesures, mais d'une appréciation quotidienne - dire simplement « merci » ou demander l'avis des collaborateurs. « Le chef m'a demandé mon avis » - ces petits gestes peuvent déclencher beaucoup de choses positives.

Trois choses sont particulièrement importantes :

  1. Écouter : vouloir vraiment comprendre le point de vue de l'autre partie. Cela crée de la confiance et montre de l'estime.
  2. Prendre les choses au sérieux : prendre au sérieux les préoccupations et les idées des collaborateur∙rices, les traiter et les développer ensemble afin d'optimiser les conditions de travail. Cela indique aux personnes que leurs contributions sont importantes.
  3. Formuler les critiques en connaissance de cause : si une critique est nécessaire, réfléchissez au préalable à la manière de la transmettre - de manière valorisante et respectueuse.

L'estime ne se manifeste pas seulement dans le comportement social, mais aussi dans l'organisation du travail lui-même. Une tâche intéressante est aussi une forme de reconnaissance.

Mais l'estime vaut aussi dans l'autre sens : les cadres eux-mêmes veulent faire du bon travail et être appréciés. Ce n'est donc pas une voie à sens unique - la reconnaissance mutuelle renforce la motivation des deux côtés.

Que devraient faire les entreprises pour prévenir le stress et l'épuisement professionnel de leurs employé∙es à long terme ?

Actuellement, les entreprises devraient surtout veiller à ne pas surcharger leur personnel avec des projets, des réorganisations et des changements permanents. Il s'agit de prévenir le burnout à long terme plutôt que de surfer sur les tendances à court terme. Un personnel engagé a besoin de soutien, ce qui implique avant tout d'impliquer les personnes à un stade précoce, à tous les niveaux. Au lieu d'introduire frénétiquement de nouvelles mesures, il faut faire preuve de patience et investir le temps nécessaire.

Une communication ouverte est également importante : une information précoce et l'implication des collaborateur∙rices garantissent que les changements sont plus facilement soutenus. Il s'agit d'instaurer la confiance et de réduire les craintes.

Ces approches sont-elles réellement mises en œuvre dans les entreprises ?

Cela prend du temps. Le changement ne se produit pas du jour au lendemain. Il est important de former les cadres et de les sensibiliser à l'importance de l'estime et de la communication.

La clé est d'avoir dans l'entreprise des personnes qui sont vraiment passionnées par le sujet - elles peuvent entraîner les autres et initier de véritables changements. Cela vaut la peine de chercher des alliés et de travailler ensemble.

Merci beaucoup pour cet entretien !

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